INTRODUCTION DE LA NOTION DE GROUPE
Que nous soyons capables d'aller plus loin est dù au fait suivant
dont l'importance est capitale.
Il est évident que si nous considérons un changement
A et le faisons suivre d'un autre changement B, nous sommes libres de
regarder l'ensemble des deux changements A suivi de B comme un seul
changement qui peut s'écrire A+B est peut être appelé
le changement résultant. (Il va sans dire que A+B n'est pas nécessairement
identique à B+A). Il en résulte alors que si deux changements
A et B sont des déplacements, le changement A+B est aussi un
déplacement. Les mathématiciens expriment cela en disant
que l'ensemble des déplacements forme un groupe. S'il n'en était
pas ainsi il n'y aurait pas de géométrie.
Mais comment savons-nous que l'ensemble des déplacements est
un groupe ? Est-ce par un raisonnement a priori ? Est-ce par expérience
? On est tenté de raisonner a priori et de dire : si le changement
externe A est corrigé par le changement interne A', et le changement
externe B par le changement interne B', le changement externe résultant
A+B sera corrigé par le changement interne résultant B'+A'.
Donc ce changement résultant est par définition un déplacement,
ce qui revient à dire que l'ensemble des déplacements
forme un groupe.
Mais ce raisonnement est sujet à plusieurs objections. Il est
clair que les changements A et A' se compensent, c'est-à-dire
que si ces deux changements se succèdent, je retrouverai mes
impressions primitives, résultat que je peux écrire comme
il suit :
A + A' = O
Je vois également que B + B' = O. Ce sont ces hypothèses
que j'ai faites au début et qui m'ont servi à définir
les changements A, A', B et B'. Mais est-il certain que nous aurons
encore B + B' = O après les deux changements A et A' ? Est-il
certain que ces deux premiers changements se compensent d'une manière
telle qu'après eux, non seulement je retrouverai mes impressions
primitives, mais que les deux changements B et B' retrouveront toutes
leurs propriétés initiales et en particulier celle de
se compenser mutuellement ? Si nous admettons cela, nous pourrons en
conclure que je retrouverai mes impressions primitives quand les quatre
changements se suivront dans l'ordre
A, A', B, B' ;
mais non pas qu'il en sera encore de même quand ils se succéderont
dans l'ordre
A, B, B', A'.
Et ce n'est pas tout. Si deux changements externes a
et a' sont regardés
comme identiques sur la base de la convention adoptée plus haut,
ou, en d autres termes, sont susceptibles d être corrigés
par le même changement interne A ; si, d'autre part, deux autres
changements externes b
et b' peuvent être
corrigés par le même changement interne B et peuvent par
conséquent être regardés aussi comme identiques,
avons-nous le droit de conclure que les deux changements a
+ b et a'
+ b' sont susceptibles
d'être corrigés par le même changement interne et
sont par conséquent identiques ? Une telle proposition n'est
aucunement évidente, et, si elle est vraie, elle ne peut être
le résultat d'un raisonnement a priori.
Par conséquent, cette série de propositions, que je résume
en disant que les déplacements forment un groupe, ne nous est
pas donnée par un raisonnement a priori. Sont-elles donc un resultat
d'expérience ? On est enclin à admettre qu'elles le sont
; et cependant on a un sentiment de véritable répugnance
à le faire.
Des expériences plus précises ne peuvent-elles pas prouver
un jour que la loi énoncée plus haut n'est qu'approximative
? Et alors qu'adviendra-t-il de la géométrie ?
Mais nous pouvons être tranquilles sur ce point. La géométrie
est à l'abri de toute révision ; aucune expérience,
si précise soit-elle, ne peut la renverser. Si cela se pouvait,
il y a longtemps que se serait fait. Nous savons depuis longtemps que
toutes les soi-disant lois expérimentales ne sont que des approximations
et des approximations grossières.
Que faut-il donc faire ? Quand l'expérience nous apprend qu'un
certain phénomène ne correspond pas du tout aux lois indiquées,
nous l'effaÁons de la liste des déplacements. Quand elle nous
apprend qu'un certain changement ne leur obéit qu'approximativement,
nous considérons ce changement, par une convention artificielle,
comme la résultante de deux autres changements composants. Le
premier composant est regardé comme un déplacement satisfaisant
rigoureusement aux lois dont je viens de parler, tandis que le second
composant, qui est petit, est regardé comme une altération
qualitative. Ainsi nous disons que les solides naturels ne subissent
pas seulement de grands changements de position, mais aussi de petites
flexions et de petites dilatations thermiques.
Par un changement externe a
par exemple, nous passons de l ensemble d'impressions A à l ensemble
B. Nous corrigeons ce changement par un changement interne volontaire
b et nous sommes ramenés
à l'ensemble A. Un nouveau changement externe a'
nous fait passer de nouveau de l'ensemble A à l ensemble B. Nous
devons nous attendre alors à ce que ce changement a'
puisse à son tour être corrigé par un autre changement
interne volontaire b' qui
provoquerait les mêmes sensations musculaires que b
et qui ramènerait l'ensemble d impressions A. Si l expérience
ne confirme pas cette prédiction, nous ne sommes pas embarrassés.
Nous disons que le changement a'
, bien qu il nous ait fait, comme a
, passer de l'ensemble A à l'ensemble B, n'est cependant pas
identique au changement a
. Si notre prédiction ne se confirme qu'approximativement, nous
disons que le changement a'
est un déplacement identique au déplacement a
, mais accompagné d'une légère altération
qualitative.
En résumé, les lois en question ne nous sont pas imposées
par la nature, mais sont imposées par nous à la nature.
Mais si nous les imposons à la nature, c'est parce qu'elle nous
permet de le faire. Si elle offrait trop de résistance, nous
chercherions dans notre arsenal une autre forme qui serait pour elle
plus acceptable.
Conséquences de l'existence
du groupe ...