TABLE DES MATIÈRES

L'espace
sensible

Le sentiment de la direction

Représentation de l'espace

Déplacement et changement d'état

Classification des déplacements

Introduction de la notion de groupe

Conséquences de l'existence du groupe

Propriétés du groupe

Continuité

Sous-groupes

Sous-groupes rotatifs

Sous-groupes translatifs

Nombre des dimensions

La notion du point

Discussion de la théorie précédente

Le raisonnement d'Euclide

La géométrie de Staudt

L'axiome de Lie

La géométrie et la contradiction

L'emploi des figures

La forme et la matière

Conclusions

 

 

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LE RAISONNEMENT D'EUCLIDE

Mais pour montrer que l'idée de déplacement et par conséquent l'idée de groupe a joué un rôle prépondérant dans la genèse de la géométrie, il reste à faire voir que cette idée domine tous les raisonnements d'Euclide et des auteurs qui ont écrit après lui sur la géométrie élémentaire.

Euclide commence par énoncer un certain nombre d'axiomes; mais on ne doit pas s'imaginer que les axiomes qu'il énonce explicitement sont les seuls auxquels il a recours. Si nous analysons soigneusement ses démonstrations, nous y trouverons, sous une forme plus ou moins voilée, un certain nombre d'hypothèses qui sont en réalité des axiomes déguisés; et nous pourrions en dire presque autant de quelques-unes de ses définitions.

Sa géométrie commence par déclarer que deux figures sont égales si elles sont superposables. Ceci admet qu'elles peuvent être déplacées et aussi que parmi tous les changements qu'elles peuvent subir, nous pouvons distinguer ceux qui peuvent être regardés comme des déplacements sans déformation. Cette définition implique également que deux figures qui sont égales à une troisième sont égales entre elles. Et cela revient à dire que s'il y a un déplacement qui mette la figure A sur la figure B et un second déplacement qui superpose la figure B à la figure C, il y en aura aussi un troisième, la résultante des deux premiers, qui superposera la figure A à la figure C. En d'autres termes on présuppose que les déplacements forment un groupe. La notion de groupe, par conséquent, est introduite dés le début et introduite inévitablement.

Quand je prononce le mot "longueur", un mot que nous estimons souvent inutile de définir, j'admets implicitement que la figure formée par deux points n'est pas toujours superposable à celle qui est formée par deux autres points; car autrement deux longueurs quelconques seraient égales entre elles. Or, c'est là justement une propriété importante de notre groupe.

J'énonce implicitement un hypothèse analogue quand je prononce le mot "angle".

Et comment procédons-nous dans nos raisonnements? En déplaçant nos figures et en leur faisant exécuter certains mouvements. Je veux montrer qu'en un point donné d'une ligne droite on peut toujours élever une perpendiculaire, et pour cela j'imagine une droite mobile tournant autour du point en question. Mais ici je présuppose que le mouvement de cette nouvelle droite est possible, qu'il est continu, et qu'en tournant ainsi elle peut passer de la position dans laquelle elle se confond avec la ligne droite donnée à la position opposée dans laquelle elle se confond avec son prolongement. Ici encore nous avons une hypothèse qui touche aux propriétés du groupe.

Pour démontrer les cas d'égalité des triangles, les figures sont déplacées de telle sorte qu'elles se superposent l'une à l'autre.

Enfin quelle est la méthode employée pour démontrer que par un point donné on peut toujours mener une et une seule perpendiculaire à une droite donnée? On fait tourner la figure de 180° autour de la ligne droite donnée et on obtient de cette manière le point symétrique au point donné par rapport à la droite donnée. Nous avons ici un exemple fort caractéristique et qui met en évidence le rôle que la ligne droite joue le plus fréquemment dans les démonstrations géométriques, celui d'un axe de rotation.

Ceci implique l'existence du sous-groupe que j'ai appelé le faisceau rotatif. Quand, - ce qui arrive aussi fréquemment -, on fait glisser une ligne droite le long d'elle-même (continuant bien entendu à supposer que la droite peut servir d'axe de rotation) on tient implicitement pour assurée l'existence du sous-groupe hélicoïdal. En résumé, le principal fondement des démonstrations d'Euclide est réellement l'existence du groupe et ses propriétés.

Sans doute, il a recours à d'autres axiomes qu'il est plus difficile de rapporter à la notion de groupe. Tel est l'axiome qu'emploient quelques géomètres quand ils définissent la ligne droite comme la plus courte distance entre deux points. Mais ce sont précisément les axiomes de cette nature qu'Euclide énonce. Les autres, qui sont plus directement associés à l'idée de déplacement et à l'idée de groupe, sont justement ceux qu'il admet implicitement et qu'il ne croit même pas nécessaire d'énoncer. Cela revient à dire que les premiers axiomes (ceux qui sont énoncés) sont le fruit d'une expérience plus récente, tandis que les sous-entendus ont été assimilés les premiers par nous; par conséquent la notion de groupe existait avant toutes les autres.

 

LA GEOMETRIE DE STAUDT

On sait que Staudt a essayé de construire la géomtrie sur des principes différents. Staudt n'admet que les axiomes suivants:

1° Par deux points on peut toujours mener une ligne droite.

2° Par trois points on peut toujours faire passer un plan.

3° Toute ligne droite ayant deux de ses points dans un plan est entièrement contenue dans ce plan.

4° Si trois plans ont un point commun, et un seulement, toute ligne droite coupera au moins un de ces trois plans.

Ces axiomes suffisent à établir toutes les propriétés descriptives, relatives aux intersections des lignes droites et des plans. Pour obtenir les propriétés métriques nous commençons par définir un faisceau harmonique de quatre droites en prenant comme définition la propriété descriptive bien connue. Alors le rapport anharmonique de quatre points est défini et enfin, en supposant que l'un de ces quatre points a été rejeté à l'infini, le rapport de deux longueurs est défini. C'est là le point faible de la théorie précédente, si séduisante qu'elle soit. Arriver à la notion de longueur en la regardant seulement comme un cas particulier du rapport anharmonique est un détour artificiel auquel on répugne. Ce n'est évidemment pas de cette manière que nos notions géométriques se sont formées.
Voyons maintenant si nous pouvons concevoir, sans introduire la notion de groupe et de mouvement, comment les notions qui servent de fondement à cette ingénieuse géométrie ont pris naissance. Voyons quelles expériences auraient pu nous conduire à formuler les axiomes énoncés plus haut. Si la ligne droite n'est pas donnée comme un axe de rotation,elle ne peut être donnée que d'une façon, comme le trajet d'un rayon lumineux. Je veux dire que les expériences, toujours plus ou moins grossières, qui nous servent de point de départ, devront toutes être applicables au rayon lumineux et que nous devons définir la ligne droite comme une ligne pour laquelle les lois simples auxquelles le rayon lumineux obéit. L'expérience qu'il faudra faire pour vérifier le plus important de nos axiomes, le troisième, sera alors la suivante:
Soient deux fils tendus. Plaçons l'œil à l'extrémité de l'un de ces fils. Nous voyons que le fil est entièrement caché par son extrémité, ce qui nous apprend que le fil est rectiligne, c'est-à-dire suit le trajet d'un rayon lumineux. Faisons la même chose pour le second fil. Nous observons alors ce qui suit: ou bien il n'y aura aucune position de l'œil dans laquelle l'un des fils soit entièrement caché par l'autre, ou bien il y en aura une infinité.
Comment se présente la question du nombre des dimensions quand on suit cet ordre d'idées?
Consid»rons toutes les positions de l'œil dans lesquelles l'un des fils est caché par l'autre. Supposons que dans l'une de ces positions le point A du premier fil soit caché par le point A' du second, le point B par le point B', le point C par le point C'.
Nous découvrons alors que si le corps se déplace de telle façon que le point A soit toujours caché par le point A' et le point B par le point B', le point C reste toujours caché par le point C' et en général un point quelconque du premier fil reste caché par le même point du second fil par lequel il était caché avant que le corps ne se déplace. Nous exprimons ce fait en disant que, bien que le corps se soit déplacé, la position de l'œil n'a pas changé.
Nous voyons ainsi que la position de l'œil est définie par deux conditions, que A soit caché par A' et B par B'. Nous exprimons ce fait en disant que le lieu des points tel que les deux fils se cachent l'un l'autre a deux dimensions.
De même, supposons que pour une certaine position du corps, quatre fils, A, B, C, D cachent quatre points A', B', C', D'; supposons que le corps se déplace, mais de telle manière que A, B et C continuent à cacher A', B' et C'. Nous découvrirons alors que D continue à cacher D' et nous exprimerons encore ce fait en disant que la position de l'œil n'a pas changé. Cette position sera donc définie par trois conditions et c'est pourquoi nous disons que l'espace a trois dimensions. On remarquera que la loi ainsi découverte expérimentalement n'est vraie qu'approximativement. Mais ce n'est pas tout. Elle n'est même pas toujours vraie, parce que D ou D' peuvent avoir bougé en même temps que mon corps se déplaçait. Nous déclarons donc simplement que cette loi est souvent approximativement vraie.
Mais nous sommes désireux d'arriver à des axiomes géométriques qui soient rigoureusement et toujours vrais et nous échappons toujours à ce dilemme par le même artifice, en disant que nous convenons de considérer le changement observé comme la résultante de deux autre, l'un qui obéit rigoureusement à la loi et que nous attribuons au déplacement de l'œil et le second qui est généralement très petit et que nous attribuons soit à des altérations qualitatives, soit aux mouvement des corps extérieurs.
Nous n'avons pas pu éviter la considération des mouvements de l'œil et du corps. Cependant, nous pouvons dire que, à un certain point de vue, la géométrie de Staudt est surtout une géométrie visuelle tandis que celle d'Euclide est surtout musculaire.
Sans aucun doute des expériences inconscientes analogues à celles dont je viens de parler peuvent avoir joué un rôle dans la genèse de la géométrie; mais elles ne sont pas suffisantes. Si nous avions procédé comme le suppose la géométrie de Staudt, quelque Apollonius aurait découvert les propriétés des polaires. Mais ce n'eût été que longtemps après que les progrès de la science auraient fait comprendre ce qu'est une longueur ou un angle. Nous aurions dû attendre quelque Newton pour découvrir les différents cas d'égalité des triangles. Et ce n'est évidemment pas de cette manière que les choses se sont passées.

L'axiome de Lie ...

 

 

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