NOMBRE DES DIMENSIONS
Dans la théorie ordinaire des groupes, nous distinguons l'ordre
et le degré. Supposons d'abord le cas le plus simple, celui d'un
groupe formé par différentes permutations entre certains
objets. Le nombre des objets est appelé le degré; le nombre
des permutations est appelé l'ordre du groupe. Deux tels groupes
peuvent être isomorphes et leurs permutations peuvent se combiner
suivant les mêmes lois sans que leur degré soit le même.
Ainsi considérons les différentes manières dont
un cube peut être superposé à lui-même. Les
sommets peuvent être échangés l'un avec l'autre
comme peuvent l'être aussi les faces et les arêtes; d'où
résultent trois groupes de permutations qui sont évidemment
isomorphes entre eux; mais leur degré peut être huit, six
ou douze, puisqu'il y a huit sommets, six faces et douze arêtes.
D'autre part deux groupes isomorphes entre eux ont toujours le même
ordre. Le degré est, pour ainsi dire, un élément
matériel et l'ordre un élément formel dont l'importance
est bien plus grande. La théorie de deux groupes de degré
différent peut être la même en ce qui concerne ses
propriétés formelles; exactement comme la théorie
mathématique de l'addition de trois vaches et quatre vaches est
identique à celle de trois chevaux et quatre chevaux.
Quand nous passons aux groupes continus les définitions de l'ordre
et du degré doivent être modifiées, mais sans en
sacrifier l'esprit. Les mathématiciens supposent ordinairement
que l'objet des opérations du groupe est un ensemble d'un certain
nombre n de quantités susceptibles de varier d'une manière
continue, lesquelles quantités sont appelées coordonnées.
D'autre part, toute opération du groupe peut être regardée
comme faisant partie d'un faisceau analogue au faisceau rotatif et comme
un multiple d'un ordre très élevé d'une opération
infinitésimale appartenant au même faisceau. En outre,
toute opération infinitésimale du groupe peut être
décomposée en k autres opérations appartenant à
k faisceaux donnés. Le nombre n des coordonnées (ou des
dimensions) est alors le degré et le nombre k des composantes
d'une opération infinitésimale est l'ordre. Ici encore
deux groupes isomorphes peuvent avoir des degrés différents,
mais doivent être du même ordre. Ici encore le degré
est un élément relativement matériel et secondaire
et l'ordre un élément formel. Etant donné les lois
établies plus haut, le groupe de déplacements que nous
considérons est ici du sixième ordre, mais son degré
est encore inconnu. Ce degré nous sera-t-il donné immédiatement?
Les déplacements, comme nous l'avons vu, correspondent à
des changements dans nos sensations et si nous distinguons dans notre
groupe entre la forme et la matière, la matière ne peut
pas être autre chose que ce que les déplacements font changer,
c'est-à-dire nos sensations. Même si nous supposons que
ce que nous avons appelé plus haut espace sensible fût
déjà construit, la matière du groupe sera représentée
par autant de variables continues qu'il y a de fibres nerveuses; le
"degré" de notre groupe serait extrêmement grand.
L'espace n'aurait pas trois dimensions, mais autant qu'il y a de fibres
nerveuses. Telle est la conséquence à laquelle nous arrivons
si nous considérons comme matière de notre groupe ce qui
nous est immédiatement donné. Comment échapperons-nous
à la difficulté? Evidemment en remplaçant le groupe
qui nous est donné, avec sa forme et sa matière, par un
autre groupe isomorphe dont la matière est plus simple.
Mais comment cela peut-il se faire? Précisément gríce
à cette circonstance que les déplacements qui conservent
certains éléments sont les mêmes que ceux qui conservent
certains autres éléments. Nous convenons alors de remplacer
tous ces éléments qui sont conservés par les mêmes
déplacements par un seul élément qui n'a qu'une
valeur purement schématique. D'où résulte une réduction
considérable du degré.
Je vois par exemple un corps solide tournant autour d'un point fixe.
Les parties voisines du point fixe sont peintes en rouge. C'est un déplacement
et dans ce déplacement je perçois que quelque chose demeure
invariable -, à savoir la sensation de rouge qui m'est transmise
par une certaine fibre du nerf optique. Quelque temps après,
je vois un autre corps solide tournant autour d'un point fixe. Mais
les parties voisines du point fixe sont peintes en vert. Les sensations
éprouvées sont en elles-mêmes tout à fait
différentes, mais je perçois que c'est le même déplacement
parce qu'il peut être corrigé par le même changement
interne. Ici encore quelque chose reste invariable; mais ce quelque
chose est entièrement différent au point de vue matériel;
c'est la sensation de vert transmise par une certaine fibre nerveuse.
Ces deux choses qui sont matériellement si différentes,
je les remplace schématiquement par une seule chose que j'appelle
un point et j'exprime ma pensée en disant que dans un cas comme
dans l'autre un point du corps est demeuré fixe. Ainsi chacun
de nos nouveaux éléments sera ce qui est conservé
par tous les déplacements d'un sous-groupe; à chaque sous-groupe
correspondra alors un élément et vice-versa.
Considérons les différents transformés du même
sous-groupes. Le nombre en est infini et ils peuvent former une infinité
continue simple, double ou triple. A chacun de ces transformés
on peut faire correspondre un élément; j'ai alors une
infinité simple, double, triple, etc..., de ces éléments
et le degré de notre groupe continu est 1, 2, 3...
Supposons que nous prenions les différents transformés
d'un sous-groupe rotatif. Nous avons ici une infinité triple.
La matière de notre groupe se compose donc d'une triple infinité
d'éléments. Le degré du groupe est trois. Nous
avons en ce cas choisi le point comme élément de l'espace
et donné à l'espace trois dimensions.
Supposons que nous prenions les différents transformés
d'un sous-groupe hélicoïdal. Ici nous avons une infinité
quadruple. La matière de notre groupe se compose d'une quadruple
infinité d'éléments. Son degré est quatre.
Nous avons en ce cas choisi la ligne droite comme élément
de l'espace -, ce qui donnerait à l'espace quatre dimensions.
Supposons enfin que nous choisissions les différents transformés
d'un faisceau rotatif. Le degré serait alors cinq. Nous avons
choisi comme élément de l'espace la figure formée
par une ligne droite et un point sur cette ligne droite. L'espace aurait
cinq dimensions.
Ce sont là trois solutions dont chacune est possible logiquement.
Nous préférons la première parce qu'elle est la
plus simple et elle est la plus simple parce qu'elle est celle qui donne
à l'espace le nombre le plus petit de dimensions. Mais il y a
une autre raison qui recommande ce choix. Le sous-groupe rotatif attire
d'abord notre attention parce qu'il conserve certaines sensations. Le
sous-groupe hélicoïdal ne nous est connu que plus tard et
plus indirectement. Le faisceau rotatif d'autre part n'est lui-même
qu'un sous-groupe du sous-groupe rotatif.
La notion du point ...